Du Jésus de l’histoire au Christ de la foi

Avec son livre sur l’enfance de Jésus, Benoît XVI clôt une trilogie. Le pape y défend l’idée que les découvertes des historiens sur Jésus et la foi chrétienne doivent s’éclairer mutuellement.

     Le livre a paru quelques jours avant l’entrée dans l’Avent, temps liturgique où l’Eglise, exaltant « l’avènement du Seigneur », prépare la fête de Noël. De la part de Benoît XVI, publier un ouvrage sur l’enfance de Jésus * à l’époque où les chrétiens célèbrent la naissance du Christ visait à une concordance symbolique. Il est néanmoins prouvé, comme le rappelle le pape, que Jésus n’est pas né le 25 décembre de l’an 1, mais quelques années auparavant. Le début de notre ère, en effet, a été fixé au VIe siècle par Denys le Petit, avec une erreur de quelques années par rapport à la chronologie romaine. Or nous savons que Jésus de Nazareth est venu au monde sous le règne d’Hérode le Grand. Ce dernier étant mort en 4 av. J.-C., la naissance du Christ a eu lieu avant cette date, peut-être en – 7, si bien que nous sommes sans doute, en gardant cette naissance comme point de départ, en 2018 ou 2019…

     Ce livre, terminé par Benoît XVI le 15 août 2012 à Castel Gandolfo, publié simultanément en 9 langues dans 50 pays (dans un second temps, en 20 langues dans 72 pays), s’annonce d’ores et déjà comme un succès : les droits d’auteur, détenus par la Librairie vaticane, seront reversés à des oeuvres. En France, depuis sa sortie en librairie, le 21 novembre, le titre caracole dans le peloton de tête des meilleures ventes. 80 000 exemplaires ont déjà été écoulés, et l’éditeur prévoit de passer la barre des 100 000 exemplaires à Noël.

     Après un commentaire sur la généalogie de Jésus (chapitre 1), le pape réfléchit à l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, puis à celle du Christ (chapitre 2). Il médite ensuite, à partir de la naissance de Jésus à Bethléem, sur la signification de Noël (chapitre 3). Benoît XVI analyse encore l’irruption des mages d’Orient, la fuite de Joseph et Marie en Egypte et leur retour en Israël (chapitre 4). L’épilogue du livre, enfin, décrypte la scène où Jésus, à 12 ans, enseigne dans le Temple.

     Comme les deux précédents ouvrages du pape sur Jésus, celui-ci porte la double signature de Joseph Ratzinger et de Benoît XVI, témoignant par là que l’auteur ne présente pas ce travail comme un texte du magistère, mais comme un engagement personnel du théologien qu’il est, prêt à entendre la critique ou la contradiction. Pour ce faire, cependant, il faudrait un niveau de culture théologique et exégétique auquel bien peu, à part les présomptueux ou les orgueilleux, peuvent prétendre…

La figure de Jésus a souvent été manipulée

Ce petit livre clôt de facto une trilogie sur Jésus. « Il ne s’agit pas d’un troisième volume, précise toutefois Benoît XVI, mais d’une porte d’entrée à mes deux précédents ouvrages consacrés à la figure et au message de Jésus de Nazareth. » En 2007, dans le premier tome (Jésus de Nazareth, Flammarion), le pape se penchait sur la première partie de la vie publique du Christ, du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration. Dans le deuxième tome, paru en 2011 (Jésus de Nazareth, deuxième partie, Editions du Rocher), il suivait le Christ de l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, soit de la Passion à la découverte du tombeau vide au matin de Pâques.
     Le XXe siècle a manipulé la figure du Christ. Au fils du Dieu de majesté d’autrefois, l’époque a préféré l’homme Jésus. Mais en le transformant en un grand frère gentillet, un apôtre de la révolution sociale, voire même un type banal dont l’histoire aurait été fabriquée par une Eglise assise sur ses dogmes. Parallèlement, dans la lignée des thèses soutenues, à partir des années 1920, par l’Allemand Rudolf Bultmann, théologien protestant dont l’enseignement imprégnera toute une lignée d’exégètes catholiques, un courant savant, partant du rôle de la transmission orale, qui fut une des formes initiales de la transmission du message chrétien, soutenait que les Evangiles sont des écrits tardifs, en partie légendaires, reflétant les préoccupations, les préjugés et les mentalités des premières communautés chrétiennes. C’est à travers ce prisme déformant que le personnage du Christ aurait été collectivement élaboré : le vrai Jésus, le Jésus historique, serait en réalité inaccessible.

     C’est contre ces instrumentalisations effectuées au nom de l’idéologie ou de la science que, dans les deux premiers volumes, Joseph Ratzinger s’était élevé. Sans renoncer à l’apport de la critique historique, bien au contraire, en s’appuyant sur les travaux des historiens, des exégètes et des archéologues, le pape s’employait à donner son interprétation théologique de l’Ecriture, mais tout en montrant la convergence entre le Jésus de l’Histoire et le Christ de la foi.
     C’est la même méthode qu’il met en oeuvre dans ce troisième ouvrage. De l’enfance de Jésus, à s’en tenir aux faits, nous ne savons presque rien. Seuls deux Evangiles, ceux de Matthieu et de Luc, évoquent les premières années du Christ. Né « au temps du roi Hérode », l’enfant est venu au monde à Bethléem, en Galilée, au cours d’un voyage imposé à ses parents par un recensement. Il est connu comme le fils de Joseph, charpentier à Nazareth, et de son épouse Marie. Huit jours après sa naissance, il a été nommé Jésus et circoncis, conformément à la loi juive. L’enfance proprement dite n’apparaît qu’avec l’épisode où l’enfant, âgé de 12 ans, écoute et interroge les docteurs dans le Temple de Jérusalem, pendant que Joseph et Marie, ses parents, le cherchent.

     Le propos du pape, dans ce livre, ne porte pas tant, par conséquent, sur l’enfance du Christ que sur son origine, sa conception et sa naissance, perçues comme l’annonce de la mission qui est la sienne et qui se révélera au cours de sa vie publique. Comme dans les deux tomes précédents, Benoît XVI s’attache surtout à montrer, au-delà de la lettre des Evangiles, le sens des textes.

L’interprétation des textes conduit au mystère chrétien

Le christianisme n’est pas une religion du Livre : le livre des chrétiens, expliquent les théologiens, s’il contient la parole de Dieu, n’a pas été dicté par Dieu, mais inspiré par Lui, qui est le Verbe incarné. Le Nouveau Testament est donc à la fois le témoignage, livré par des hommes, d’événements réellement arrivés, et une interprétation de ces événements. Ce que Joseph Ratzinger-Benoît XVI résume ainsi : « Matthieu et Luc – chacun à sa manière propre – voulaient non pas tant raconter des «histoires» qu’écrire une histoire, une histoire réelle, qui a eu lieu, certainement une histoire interprétée et comprise selon la parole de Dieu. Cela signifie aussi qu’il n’y avait pas une intention de raconter de façon complète, mais de noter ce qui, à la lumière de la Parole, et pour la communauté naissante de la foi, apparaissait important. Les récits de l’enfance sont une histoire interprétée et, à partir de l’interprétation, écrite et condensée. » 

     C’est donc en théologien, mais confronté à l’exégèse d’hier ou d’aujourd’hui – ses sources, citées à la fin de l’ouvrage, sont des spécialistes allemands, autrichiens ou français -, et sans jamais s’écarter de la réalité historique, que le pape médite sur les Evangiles. Lire et interpréter les textes bibliques, souligne Benoît XVI, même pour un savant, ne relève pas de l’exercice d’érudition : cet acte engage l’existence entière de celui qui accepte d’entrer en dialogue avec eux. Dans la mesure où cette quête introduit au mystère chrétien, elle conduit à nourrir et fortifier la foi.

     En 2007, dans le premier volume de sa trilogie, Benoît XVI se demandait si le temps et la force de rédiger la suite lui seraient donnés. Ils lui ont été donnés, et cette oeuvre sur Jésus restera. Bien après Joseph Ratzinger.

Jean Sévillia

* L’Enfance de Jésus, de Joseph Ratzinger – Benoît XVI, Flammarion.

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