Charette, le roi de la Vendée

En 1793, cet ancien officier de la marine royale, follement brave, devint un des chefs de l’insurrection vendéenne. Philippe de Villiers, en fils du pays, lui consacre un livre rempli d’admiration.

     Au printemps 1793, la Vendée se soulève, révoltée par la persécution religieuse et par la conscription décrétée par la Convention. C’est une insurrection populaire, les paysans allant chercher les nobles pour leur servir d’officiers. Mais cette guerre civile est inégale : le Comité de salut public réunit plusieurs armées qui ont pour consigne de ne pas faire de quartier. Franchissant la Loire, les Vendéens tentent d’échapper à l’étau qui se resserre sur eux, poussent jusqu’à la Normandie, puis reviennent sur leurs pas, pauvre troupeau humain pourchassé. Fin décembre 1793, les débris de l’armée catholique et royale sont anéantis. « Il n’y a plus de Vendée, se vante le général Westermann : elle est morte sous notre sabre libre. »

     Mais ce n’est que le premier acte de la tragédie. De décembre 1793 à juin 1794, les « colonnes infernales » du général Turreau massacrent la population et détruisent tout sur leur passage. Selon les travaux historiques les plus récents, le nombre de victimes se situe entre 140 000 et 190 000 morts, soit entre le cinquième et le quart de la population, localement le tiers ou la moitié, dont 75 à 80 % dans le camp royaliste.
     Charette, l’un des chefs du soulèvement, a été après coup surnommé « le roi de la Vendée ». « Il me laisse l’impression d’un grand caractère, confiera Napoléon à Las Cases. Je lui vois faire des choses d’une énergie, d’une audace peu communes, il laisse percer du génie. » Ce jugement, Philippe de Villiers le partage sans hésiter. Créateur du Puy-du-Fou, député et président du conseil général de la Vendée pendant plus de vingt ans, l’homme qui a fait entrer son département dans la modernité est depuis toujours fasciné par la figure de Charette. Aujourd’hui, il lui consacre un livre intitulé « roman » *, parce que le héros y tient la plume en utilisant la première personne, mais l’auteur a tout lu sur le sujet et consulté les meilleurs spécialistes, si bien que ce roman haletant est un vrai livre d’histoire.
     François-Athanase Charette de la Contrie vient au monde en 1763, près d’Ancenis, dans une famille de hobereaux désargentés. A 16 ans, il intègre l’Ecole des gardes de la marine, à Brest, voyant passer de grands capitaines qui vont se battre contre les Anglais aux côtés des insurgents d’Amérique : Rochambeau, Bougainville, Suffren, Grasse. Le jeune Charette appareille à son tour, prend part à la guerre d’indépendance, y fait merveille, revient en vainqueur. Il croise ensuite en mer du Nord et dans la Baltique, puis dans les mers chaudes. En 1787, il est promu au mérite lieutenant de vaisseau. Affecté en Méditerranée, il fait la chasse aux Barbaresques et aux brigands grecs, mouillant à Corfou et dans les Dardanelles. Par rapport aux biographies habituelles de Charette, centrées sur l’époque révolutionnaire, l’originalité du livre de Philippe de Villiers est précisément de s’étendre sur cette période de la vie du Vendéen, faisant revivre la geste haute en couleur des marins du temps de Louis XVI, ces « hommes au sang salé ».

Charette n’a pas l’âme d’un émigré

Mais survient la Révolution, qui dissout l’esprit de discipline sur les vaisseaux français. En 1790, écoeuré, Charette démissionne et se réfugie chez lui, au manoir de Fonteclause, près de Challans. Cependant, en Vendée aussi, la violence et le désordre gagnent. En 1792, l’officier se rend à Coblence, mais il ne se sent pas à l’aise parmi les émigrés. Il rentre en France, participe à la défense du roi, le 10 août, quand l’émeute s’empare des Tuileries, échappe à la tuerie, et revient dans l’Ouest, où il se terre chez lui.
     En mars 1793, les paysans du pays de Retz et du Marais breton, révoltés contre l’ordre nouveau, viennent le tirer de son lit en le suppliant de les commander. Cédant à leurs instances, il prend la tête d’une troupe hétéroclite. Sur son chapeau, il a accroché le plumet blanc d’Henri IV et il a ressorti son sabre de marine sur lequel est gravée cette devise : « Je ne cède jamais. »

     S’étant joint à l’armée catholique et royale, il combat à Nantes, Montaigu, Torfou et Noirmoutier. Mais si Charette aime donner des ordres, il n’est pas dans son goût d’obéir. Souvent, à la bataille, il suit le plan qui lui convient, sans se soucier des autres chefs, avec certains desquels ses rapports sont houleux.

     Fin 1793, quand le gros des forces vendéennes est écrasé, il continue seul la lutte. Remarquable stratège, Charette mène une guérilla implacable, refusant l’affrontement quand la situation ne lui est pas favorable, paralysant les mouvements de l’adversaire, s’emparant de ses armes, exposant le moins possible ses propres hommes. De ces derniers, dont il partage les misères, il est très proche. Eux, admirant sa bravoure, se feraient tuer pour lui.

     En février 1795, alors que, à Paris, les Thermidoriens cherchent une issue à cet interminable conflit civil, Charette et plusieurs autres chefs vendéens signent la paix de La Jaunaye. La trêve, toutefois, ne dure que cinq mois. Au cours de l’été suivant, de son exil, Louis XVIII confère à Charette le grade de général de l’armée catholique et royale. Un beau titre pour une réalité qui n’existe plus. Après l’échec du débarquement de Quiberon, les combattants royalistes se dispersent. Ils sont 32 autour de Charette, le 23 mars 1796, quand il est capturé dans les bois de la Chabotterie. Condamné à mort, il est fusillé trois jours plus tard, à Nantes, ayant obtenu de diriger le feu. Il avait 32 ans. Son corps, jeté à la fosse commune, ne sera jamais retrouvé.
     Le livre de Philippe de Villiers élude les défauts de Charette : son orgueil, sa dureté, son individualisme. Il fait bien ressortir, en revanche, son courage, sa gaieté, son sens du panache, traits typiques de l’officier d’Ancien Régime. « Que d’héroïsme perdu ! » lui avait dit le général Travot en le faisant prisonnier. La réponse du roi de la Vendée est restée pour l’Histoire : « Monsieur, rien ne se perd. Jamais. »

Jean Sévillia

* Le Roman de Charette, de Philippe de Villiers, Albin Michel.

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