Ces chefs d’Etat qu’on assassine

De Jules César au couple Ceausescu, Jean-Christophe Buisson raconte quinze meurtres politiques. Où l’histoire rencontre la tragédie : un livre qui se lit comme un thriller.

     Le film sort la semaine prochaine. Produit et réalisé par Steven Spielberg, Lincoln raconte les derniers mois de la vie du seizième président des Etats-Unis, assassiné le 14 avril 1865, quelques jours après la fin de la guerre de Sécession. Qui voudra être éclairé sur les circonstances exactes de sa mort, toutefois, ne trouvera pas la réponse au cinéma : ni le meurtre d’Abraham Lincoln, ni son auteur, ni ses mobiles n’apparaissent dans le film. Mais un livre tout juste paru en librairie, heureux hasard du calendrier, répond à ces questions – et à beaucoup d’autres.
     Lincoln, en effet, a été assassiné par John Wilkes Booth, un comédien de second rang qui rêvait d’acquérir par ce geste la gloire que son talent ne lui avait pas procurée et qui voulait surtout venger le Sud, dans les armées duquel, en dépit de ses convictions, il n’avait pas eu le courage de s’engager. Ce tragique épisode de l’histoire américaine forme le quatrième chapitre de l’ouvrage que Jean-Christophe Buisson, rédacteur en chef culture du Figaro Magazine, consacre à quinze assassinats de chefs d’Etat ou de gouvernement *.
     Le 12 mars 2003, il y a bientôt dix ans, Zoran Djindjic, le Premier ministre de Serbie, était assassiné à Belgrade. Atteint en plein coeur d’une balle tirée par un sniper aux ordres d’un groupe mafieux lié à l’ancien président Milosevic, le chef du gouvernement était victime de son engagement réformateur et pro-européen. Cet homme, Buisson le connaissait. Alors grand reporter au Figaro Magazine, il l’avait interviewé, en décembre 1996, lors d’une enquête effectuée en Yougoslavie. Dans un pays qui peinait à s’échapper du national-communisme, Djindjic, qui était un des chefs de l’opposition démocratique, avait confié au journaliste français se savoir menacé de mort. « C’est en repensant à cette rencontre avec un futur homme d’Etat assassiné que j’ai eu l’idée de ce livre », relate Jean-Christophe Buisson.

Action, suspense : quinze chapitres haletants

Ce dernier a une formation d’historien, comme l’ont prouvé ses précédents ouvrages : Héros trahi par les Alliés (rééd. Tempus, 2011), une biographie du général Mihailovic, le résistant royaliste serbe lâché par l’Ouest, en 1944, au profit du communiste Tito ; Il s’appelait Vlassov (Lattès, 2004), un roman sur le général russe qui s’est retourné contre Staline en 1942 ; et enfin une Histoire de Belgrade, qui reparaît ces jours-ci en Poche (Tempus). C’est donc en historien-journaliste que Buisson raconte, en quinze chapitres haletants, troussés chacun comme un thriller, avec ce qu’il faut d’action et de suspense, quinze meurtres politiques, le premier ayant été commis en 44 avant Jésus-Christ, le dernier en 1989.

     Jules César, le roi de France Henri III, l’empereur du Mexique Maximilien, le tsar Alexandre II, l’impératrice Elisabeth d’Autriche (Sissi), l’archiduc François-Ferdinand, le tsar Nicolas II, le chancelier autrichien Dollfuss, le Congolais Patrice Lumumba, le Vietnamien du Sud Ngô Dinh Diêm, le président égyptien Anouar el-Sadate, le Premier ministre indien Indira Gandhi et le couple Ceausescu, dictateurs communistes roumains, sont donc les héros involontaires de cette nécrologie qui s’étend sur deux millénaires.
     Pourquoi eux ? Pourquoi pas Henri IV, John Kennedy ou Yitzhak Rabin ? Jean-Christophe Buisson s’en explique. Il n’a pas cherché à traiter exclusivement les assassinats qui ont changé la face du monde, les plus spectaculaires ou ceux qui ont marqué les esprits. Sa sélection vise plutôt à évoquer tous les types d’assassinats, et l’extrême variété des situations auxquelles ils ont correspondu. Une constante, néanmoins, les caractérise tous. « Depuis l’Antiquité, observe l’auteur, c’est bien la même motivation qui arme le bras des meurtriers de chefs d’Etat : en finir avec un régime jugé illégitime et lui-même criminel, incarné par un individu qu’ils haïssent. »

     Les quinze cas sont abordés de façon différente du point de vue de l’écriture. Tantôt le narrateur suit d’abord la victime, tantôt le bourreau, jusqu’au moment de leur rencontre fatale. L’histoire n’est pas une science froide : face au passé, tout historien, même s’il s’en défend, a ses goûts et ses dégoûts. Les victimes choisies par Jean-Christophe Buisson n’attirent pas toutes sa sympathie, c’est le moins que l’on puisse dire (voir son portrait de Robespierre), et d’autres, au contraire, lui dictent des pages magnifiques, empreintes d’admiration (voir Alexandre II ou Dollfuss).

Une réflexion politique sur la violence

Quant aux assassins, s’il ne justifie jamais leur acte, il fait montre à leur égard d’une attitude qu’il justifie en faisant appel à Lucien Febvre : « Accomplir un certain effort affectif pour comprendre la psychologie de ceux qu’on met en scène. » Mais dans le chapitre sur François-Ferdinand d’Autriche, assassiné à Sarajevo le 28 juin 1914, le désir de restituer avec objectivité le véritable visage des sept garçons qui voulaient éliminer l’archiduc-héritier afin, écrit l’auteur, de « chasser l’occupant autrichien de Bosnie », dissimule mal la sympathie rétrospective que cet objectif lui inspire. Il est vrai que Jean-Christophe Buisson, Serbe d’honneur, ne plaisante pas avec un pays où se niche un coin de son âme.
     En filigrane court ici une réflexion politique sur la violence, qui n’est pas nécessairement l’accoucheuse de l’Histoire, comme le prétendait Marx, mais qui l’accompagne toujours, car, rappelle Buisson, « l’histoire est par essence tragique ». Dédié au père disparu de l’auteur, l’ouvrage l’est également à la mémoire de son ami Pierre Schoendoerffer. Avec Buisson, le cinéma n’est jamais loin. Dans ce beau livre, d’ailleurs, on trouve d’autres histoires que celle de Lincoln qui feraient d’excellents films. Avis aux réalisateurs.

Jean Sévillia

*Assassinés, de Jean-Christophe Buisson, Perrin.

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques