Djihadisme : ces experts qu’on a refusé d’entendre

Sociologues, démographes, professeurs : depuis une quinzaine d’années, de nombreux chercheurs, parfois de gauche, avaient étudié le terreau sur lequel poussent les djihadistes.

Déracinement, déstructuration familiale, échec scolaire, petite délinquance : c’est dans ce contexte que se sont déroulées l’enfance et la jeunesse des djihadistes. Des facteurs certes insuffisants pour expliquer l’entrée dans le terrorisme islamiste, mais qui forment un arrière-plan social, culturel et psychologique propice à toutes les dérives. Or des experts de toutes sortes ont depuis longtemps pointé ce danger.
Docteur en sciences politiques et chercheur au CNRS, Sebastian Roché travaille sur la délinquance juvénile. Au début des années 2000, les conclusions de ce criminologue font scandale, bien qu’il soit de gauche, parce que, dans La Délinquance des jeunes (Seuil, 2001), il dresse des courbes parallèles entre le taux de familles monoparentales et le taux d’agressions contre les personnes, entre le nombre de divorces et le nombre de vols, de même qu’il souligne la « surdélinquance » des jeunes d’origine immigrée.
A l’automne 2005, une équipe de sociologues publie une étude qui, réalisée dans l’académie de Bordeaux, prouve que plus de 40 % des élèves d’origine immigrée sont scolarisés dans 10 % de collèges publics dont le niveau est plus faible « Il se crée en France de véritables ghettos scolaires », déplorent ainsi Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle Perroton (L’Apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Seuil, 2005).
A la fin des années 1990, l’enquête de Michèle Tribalat sur la ville de Dreux frappe les esprits : la cité, observe cette démographie, est devenue « le théâtre d’un morcellement du corps social sur base ethnique, où le racisme antiarabe et son double mimétique, le racisme antifrançais, organisent la vie sociale » (Dreux, voyage au coeur du malaise français, Syros, 1999). En 2000, Tribalat démissionne du Haut Conseil à l’intégration, accusant cette instance de faire le jeu des islamistes. Un de ses griefs porte notamment sur le flou entourant le nombre réel de musulmans établis en France, nombre que certains, selon elle, majorent pour effrayer l’opinion, d’autres pour s’en servir comme d’un moyen de pression sur l’Etat. La chercheuse estime qu’en additionnant les immigrés, leurs enfants et petits-enfants, la France compte 13,5 millions de migrants, mais que le nombre de musulmans n’excède pas 5 millions de personnes.
Un chiffre qui fait débat, en l’absence de statistiques officielles, la loi française interdisant les recensements sur une base religieuse. Jean-Paul Gourévitch, un consultant international, auteur d’une dizaine de livres sur le phénomène migratoire, évalue la population d’origine étrangère vivant en France, en 2009, à 7,7 millions de personnes dont 3,4 millions de Maghrébins et 2,4 millions originaires d’Afrique subsaharienne, soit 12,2 % de la population métropolitaine (Les Migrations pour les Nuls, Editions First, 2014). Dans La Croisade islamiste (Editions Pascal Galodé, 2011), Gourévitch considère que « le chiffre de 8 millions de musulmans dans toute la France, dont 7,7 en France métropolitaine à la fin 2011, représente une estimation fiable ». Parmi ces 8 millions, l’expert estime à environ 3,6 millions le nombre de musulmans actifs, dont 72 000 à 160 000 radicaux.
« Les territoires perdus de la République » : adoptée par le langage politique et journalistique pour désigner ces quartiers où ne règne plus la loi française, l’expression est à l’origine le titre d’un livre paru aux Editions Mille et Une Nuits, en 2002, sous la direction d’Emmanuel Brenner, pseudonyme de Georges Bensoussan, un historien de la Shoah. Rassemblant les témoignages d’enseignants et de chefs d’établissement, l’ouvrage décrit une jeunesse issue de l’immigration maghrébine où s’expriment l’antisémitisme, le racisme, le sexisme.
En 2004, un groupe d’inspecteurs généraux de l’Education nationale, réunis sous la direction de Jean-Pierre Obin, remettent au ministère un rapport sur « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. » « Le mois du ramadan, y lit-on, est l’occasion d’un prosélytisme intense. Certains élèves non musulmans jeûnent, eux aussi, pour se conformer aux normes. C’est parfois le début de la conversion. »
En 2011 paraît en France un livre publié trois ans plus tôt aux Etats-Unis par Christopher Caldwell, éditorialiste au Financial Times : Une révolution sous nos yeux. Comment l’islam va transformer la France et l’Europe (Editions du Toucan). Bon connaisseur du Vieux Continent, le journaliste américain a observé la montée du communautarisme et du radicalisme islamique dans tous les pays qui ont accueilli un grand nombre d’immigrés provenant de pays musulmans.
Auteur de La France périphérique (Flammarion, 2014), Christophe Guilluy, lui, analyse comment les classes populaires françaises, chassées des banlieues par la pression des immigrés, se sont réfugiées dans les zones périurbaines, et y affrontent un sentiment d’abandon et de déclassement, dont elles se vengent… dans les urnes.

Jean Sévillia

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