Elections autrichiennes : arrêtons de crier au loup

FIGAROVOX/TRIBUNE – Les élections en Autriche ont vu la victoire des conservateurs (ÖVP) et la percée des «populistes» du FPÖ. Ces deux mouvements pourraient travailler ensemble, témoignant d’une poussée à droite au centre de l’Europe. Jean Sévillia rappelle que la démocratie autrichienne ne fonctionne pas selon les critères du politiquement correct à la française.

Dimanche 15 octobre, les Autrichiens ont élu leurs députés au Nationalrat. Après le dépouillement des votes par correspondance, publié jeudi 19 octobre, le scrutin a finalement donné le résultat suivant : en tête les conservateurs de l’ÖVP, le Parti populaire autrichien (31,5 % des voix), suivis des sociaux-démocrates du SPÖ (26,9 % des suffrages), les populistes du FPÖ récoltant 26 % des voix, soit une différence de 45 000 suffrages avec les précédents, sur 4,2 millions de suffrages exprimés.

Depuis dimanche, les commentaires de ces élections ont illustré la méconnaissance ou l’incompréhension du système politique de ce pays. Le message médiatique délivré en France est que la droite conservatrice autrichienne, emmenée par le jeune Sebastian Kurz, va gouverner avec les populistes du FPÖ, ce qui signifie que « l’extrême droite » est « aux portes du pouvoir ». Or cette hypothèse est une possibilité, mais elle n’est pas la seule. Selon la Constitution autrichienne, c’est le président de la République qui nomme le chancelier chargé de former le gouvernement. Bien que le chef de l’Etat soit libre de son choix, il nomme le chef du gouvernement, par tradition, au sein du parti qui a gagné les élections législatives. Au chancelier pressenti, il appartient de réunir une majorité parlementaire sur son programme.

Depuis 1945, sauf lors de courtes périodes, aucun parti n’a eu la majorité à lui seul, si bien que la petite République alpine est habituellement dirigée par des coalitions. Au début des années 1990, on a assisté à l’éclatement du traditionnel bipartisme autrichien (à gauche les socialistes devenus sociaux-démocrates, à droite les conservateurs devenus un centre-droit modéré et européiste) : les populistes du FPÖ, alors pilotés par le défunt Jörg Haider, ont atteint et parfois dépassé les deux grands partis, tandis que les Verts et les libéraux des NEOS complétaient la palette politique.

Au terme du scrutin de 2017, si le scénario d’une coalition gouvernementale entre les conservateurs de l’ÖVP et les populistes du FPÖ parait s’imposer, il se heurte à l’engagement pris lors de son élection par le chef de l’Etat, Alexander van der Bellen, autrefois porte-parole des Verts, élu en 2016 contre Norbert Hofer, le candidat du FPÖ, de refuser d’investir des ministres populistes, et spécialement leur leader, Heinz Christian Strache. Le président de la République autrichienne peut changer d’avis, mais rien ne l’y oblige.

Sebastian Kurz, 31 ans, actuel ministre des Affaires européennes et internationales, a pris la tête de l’ÖVP au mois de mai dernier, après une carrière éclair : responsable de la branche jeunes du parti conservateur à 23 ans, secrétaire d’Etat à  24 ans, placé aux manettes des Affaires étrangères à  27 ans. Jeune homme brillant, pressé et ambitieux, il a été comparé à Emmanuel Macron. L’analogie a ceci de vrai que c’est avec des candidats novices en politique et qui se sont présentés comme des représentants de Sebastian Kurz plus encore que de son parti que le nouveau dirigeant de la droite autrichienne a conduit à la victoire un Parti populaire autrichien qui allait de défaite en défaite depuis dix ans. A cet égard, il y a un abus de langage à qualifier de « très conservateur », comme on l’a lu et entendu çà et là, un homme qui a adopté tous les codes de la modernité, du mépris de la cravate à la distribution de préservatifs, il y a quelques années, lors de sa campagne pour l’élection au conseil municipal de Vienne. Kurz, comme Macron, a quelque chose d’un ovni politique, mais il a suivi une stratégie différente en faisant le choix non de constituer sa propre formation mais de s’emparer, avec l’ÖVP, d’un parti installé dans le paysage, et aussi de marcher sur les brisées du FPÖ, en empochant des voix sur des thèmes qui étaient naguère l’apanage des populistes : contrôle accru de l’immigration, critique du communautarisme musulman, refus de l’entrée de la Turquie dans l’Europe.

Avec qui Sebastian Kurz, probable prochain chancelier autrichien et plus jeune dirigeant européen, gouvernera-t-il ? Tout dépend des tractations qui vont avoir lieu dans les prochaines semaines afin de former un cabinet rencontrant une majorité parlementaire. Reconduction, avec d’autres ministres, de la grande coalition entre les conservateurs de l’ÖVP et les sociaux-démocrates du SPÖ ? Coalition entre l’ÖVP et les populistes du FPÖ ? Ce fut le cas de 2000 à  2007, et on se souvient que les sanctions prises initialement par l’Union européenne avaient dû être levées au bout de sept mois, tant il était évident que l’Autriche restait un tranquille Etat de droit. Christian Kern, l’actuel chancelier social-démocrate, n’exclut pas non plus de discuter avec les populistes : il faut se souvenir que deux régions autrichiennes, la Haute-Autriche et le Burgenland, sont déjà gouvernées localement par une coalition SPÖ-FPÖ, illustrant le fait que la démocratie autrichienne ne fonctionne pas selon les critères du politiquement correct à la française. Tout est ouvert. Avant de crier au loup avec des mines préoccupées, les commentateurs feraient mieux d’observer la suite.

Jean Sévillia

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