Un exemple de terrorisme intellectuel

Cinq mots au Journal officiel, et voici une tempête. D’après ses détracteurs, la loi du 23 février 2005, « portant reconnaissance de la nation envers les rapatriés », ferait l’apologie du système colonial et manifesterait le fond raciste de la droite française. L’a-t-on remarqué, les adversaires de la loi ne citent que son article 4, et encore pas intégralement. A l’Assemblée, le texte n’avait pourtant rencontré aucune opposition, et avait même été voté par les socialistes. Il préconise que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’Histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». De jugement global sur la colonisation, il n’est pas ici question. Quant au mépris, où s’exprime-t-il ? La loi invite au contraire à rendre hommage au rôle joué par les populations d’outre-mer, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans la libération de la France.

Cette loi était-elle opportune ? Il est parfaitement exact qu’il n’appartient pas à l’Etat de promouvoir une histoire officielle. Il est néanmoins vrai que la quasi-totalité des organismes qui concourent à l’élaboration des programmes scolaires, parce qu’ils émanent d’un univers sociologique imprégné par le marxisme, le tiers-mondisme et le droit-de-l’hommisme, aboutissent à une vision du passé qui, reflétant la pensée dominante, constitue de facto une histoire officielle, avec la caution de l’Etat. Ce qui gêne les idéologues, en l’occurrence, ce serait qu’il fût expliqué aux collégiens et aux lycéens qu’il y eut un « rôle positif de la présence française outre-mer », car cette réalité contredit ce qu’ils enseignent.

La campagne d’opinion qui vient de se dérouler illustre de manière exemplaire les mécanismes du terrorisme intellectuel. Lancée avant l’été 2005 par des réseaux de gauche au sein de l’Université et de l’Education nationale, cette campagne a été reprise, à la rentrée, par les partis de la même tendance, et relayée avec complaisance par les médias. En novembre, à partir des émeutes des banlieues, elle a connu un coup d’accélérateur. C’est à ce moment que cette campagne de gauche a trouvé un soutien objectif du côté du gouvernement, le Président de la République et le Premier ministre ne voulant pas d’affrontement autour de cette affaire au moment où ils prétendaient que la crise des banlieues ne remettait pas en cause les bienfaits du multiculturalisme. Le 2 décembre, la commémoration d’Austerlitz en a fait les frais, Napoléon n’étant plus que l’homme qui a rétabli l’esclavage dans les Antilles. Début janvier, lors de ses vœux de Nouvel an, le chef de l’Etat a annoncé que la loi serait réécrite, parce qu’elle « divise les Français ».

Division des Français ? Un sondage (le Figaro du 2 décembre 2005) a prouvé que 64 % de nos concitoyens (dont 57 % des sympathisants de gauche) estiment que notre présence outre-mer a bel et bien exercé un « rôle positif ». Qu’importe l’opinion publique : l’Elysée et Matignon préfèrent ne pas désespérer Saint-Germain-des-Prés. A l’heure où ces lignes sont écrites, on ignore la nouvelle rédaction du texte de loi. Mais pour l’essentiel, les militants de gauche qui ont lancé leur campagne il y a six mois ont obtenu ce qu’ils cherchaient. Symboliquement, ils ont gagné.

Anachronisme, manichéisme, moralisme, mensonges par omission : l’œuvre coloniale française est aujourd’hui soumise à une lecture politico-idéologique qui répond à des objectifs conçus par la gauche et intériorisés par une droite complexée. A cette lecture à sens unique (la colonisation vue comme un mal absolu), il ne faut pas opposer une lecture politico-idéologique en sens inverse (la colonisation vue comme un bien absolu). Le véritable travail à opérer, celui qui est d’ailleurs effectué par les chercheurs authentiques, est critique : il doit faire ressortir les aspects positifs de ce pan de notre aventure nationale, tout comme ses aspects négatifs. Contre l’historiquement correct, l’Histoire.

Jean Sévillia

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