Ces reliques du Christ qui sont en France

150 000 pèlerins sont attendus à Argenteuil, aux portes de Paris, pour l’ostension exceptionnelle de la sainte tunique du Christ qui se tient du 25 mars au 10 avril. Ce Vendredi saint, les reliques de la Passion de Jésus sont également vénérées, selon la tradition, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Au premier coup d’oeil, l’objet n’a rien d’éclatant. Présentée sur un mannequin dans un reliquaire vertical de style romano-byzantin, la tunique, de couleur brune, est cousue sur un tissu d’un ton voisin. Et pourtant dans la basilique d’Argenteuil où elle est exposée, aux portes de Paris, jusqu’au 10 avril prochain, le visiteur doit s’attendre à subir une fascination semblable à celle qu’exerce le linceul de Turin : la Sainte Tunique, il y a vingt siècles, pourrait avoir appartenu à Jésus…
Ce 25 mars, Vendredi saint pour les catholiques, jour de commémoration de la mort du Christ, se tient également, à Notre-Dame de Paris, la vénération des reliques de la Passion : la Sainte Couronne d’épines, celle que Jésus aurait portée pendant son calvaire, un morceau de la croix sur laquelle il a été crucifié, un des clous du supplice.
Dès le IVe siècle, les chroniques des pèlerins mentionnent la vénération d’instruments de la passion du Christ, à Jérusalem, par les communautés chrétiennes locales. Entre les VIIe et Xe siècles, face à la menace des Perses puis des Arabes, les reliques sont transférées à Constantinople. A l’époque, cependant, le culte des objets sacrés tourne au trafic dans l’empire d’Orient, tandis qu’en Occident, le sens du merveilleux ne pousse guère à la rigueur dans ce domaine. André Marion, un ingénieur de recherches au CNRS qui a étudié les reliques attribuées à Jésus, en tire cette conclusion : « Il est très difficile de faire le tri entre les fausses reliques, dont beaucoup ont été fabriquées au Moyen Age, surtout par les moines byzantins, et celles qui pourraient être authentiques » (1).
Dès lors, qu’en est-il des objets offerts à la vénération des fidèles depuis plusieurs siècles ? La Sainte Couronne d’épines, achetée par Saint Louis à l’empereur Baudouin de Constantinople, est arrivée à Paris en 1239. Afin de conserver cette relique insigne, plus le morceau de la Croix et le Clou de la Passion, le roi fera construire la Sainte-Chapelle, dont le trésor sera disséminé, six siècles plus tard, pendant la Révolution. La Sainte Couronne, confiée en 1806 au chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Paris et placée sous la protection des chevaliers du Saint-Sépulcre de Jérusalem, est aujourd’hui conservée dans un anneau de cristal et d’or datant de la fin du XIXe siècle. C’est un cercle de joncs de 21 centimètres de diamètre, dont les épines ont été dispersées, au fil du temps, à l’occasion de dons effectués à divers sanctuaires du monde chrétien. Nul ne peut assurer que l’objet a réellement touché la tête du Christ, mais son historicité n’en est pas moins attestée, de même que les seize siècles de dévotion qui s’y rapportent.

Selon la tradition, sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin, aurait exhumé en 326 la véritable croix de Jésus alors qu’elle était en pèlerinage à Jérusalem. Découpé en de multiples fragments à Jérusalem et à Constantinople, dispersé à travers la chrétienté après les croisades, le bois de la Croix est une relique très répandue au Moyen Age. Le morceau conservé depuis 1805 à Notre-Dame de Paris provient, lui aussi, du trésor de la Sainte-Chapelle. Naguère, les anticléricaux ironisaient sur la forêt que constituerait la collection des morceaux de la Vraie Croix. Une étude scientifique a pourtant prouvé que l’ensemble des fragments recensés n’excède pas la quantité de bois des croix utilisées par les Romains pour supplicier des condamnés à mort, ce qui ne signifie pas non plus que tous les morceaux viennent de la croix du Christ. Quant au Clou de la Passion détenu par Notre-Dame de Paris depuis 1824, on suit sa trace de la Terre sainte à Aix-la-Chapelle, le patriarche de Jérusalem l’ayant offert à Charlemagne en 799, puis d’Aix-la-Chapelle à Saint-Denis. Une trentaine de Saints Clous existent en Europe, alors que Jésus a été crucifié avec trois ou quatre clous. Là encore, ce sont des siècles de prière qui donnent leur valeur à ces reliques d’origine incertaine.
Evoquant la tunique portée par Jésus le vendredi de sa mort, vêtement que les soldats se sont partagé avec ses autres habits, l’Evangile selon saint Jean signale que les bourreaux ont renoncé à la déchirer et l’ont tirée au sort, car elle était « sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas ». Racheté aux Romains, conservé par les premiers chrétiens, le vêtement aurait quitté Jérusalem pour Jaffa avant d’être transféré, cinq siècles plus tard, près de Constantinople où, d’après Grégoire de Tours, il aurait fait l’objet d’une grande vénération. Au IXe siècle, la tunique aurait été offerte par l’impératrice Irène à Charlemagne qu’elle prévoyait d’épouser, mariage qui ne se fera pas. L’empereur aurait confié la relique au monastère d’Argenteuil, dont sa fille Théodrade était prieure. La tunique, cachée lors des invasions normandes, aurait été redécouverte en 1156, date de sa première mention authentifiée à Argenteuil. La même année a eu lieu sa première ostension publique, en présence du roi Louis VII.

Jusqu’à cette date, la chronique de la Sainte Tunique mêle l’histoire et la légende. D’autres villes ont prétendu détenir la tunique du Christ. Notamment Trèves, en Allemagne, où une Sainte Robe, redécouverte en 1196, n’a cessé d’être vénérée depuis cette époque. Mais la documentation historique, là de nouveau, fait défaut. On sait qu’au temps d’Hérode, les Juifs portaient ordinairement deux tuniques : une légère par-dessous, à même la peau, et une épaisse par-dessus. Selon certains spécialistes, la tunique de Trèves, par sa forme et ses dimensions, évoque une tunique de dessus. Celle d’Argenteuil, inconsutile, c’est-à-dire sans couture, se présentant comme une blouse à manches courtes descendant jusqu’aux genoux, avec une fente où passer la tête, pourrait donc être une tunique de dessous.
Mené à l’initiative des autorités ecclésiastiques, le travail scientifique sur la tunique d’Argenteuil a commencé à la fin du XIXe siècle. Il a été démontré que le vêtement a été tissé en laine de mouton, selon un type identifié en Syrie et au nord de la Palestine au premier siècle, et qu’il a été coloré selon des procédés en vigueur au Moyen Orient au début de notre ère. Le tissu est taché de sang sur le dos et les épaules, à l’endroit où aurait reposé la croix traînée par le Christ lors de l’ascension du calvaire.
En 2004, une analyse au carbone 14 a conclu que la tunique aurait été tissée entre 530 et 640 après Jésus-Christ. Désillusion pour les tenants de l’authenticité ? Non, car de nombreux experts contestent le verdict, arguant que le tissu a été mis en contact avec des matériaux organiques en décomposition, en 1793, lorsque le curé d’Argenteuil, afin de sauver la tunique du vandalisme révolutionnaire, l’a enterrée dans son jardin où elle est restée deux ans : un séjour susceptible de fausser la datation au carbone 14. Une seconde analyse, effectuée par un autre laboratoire, a d’ailleurs abouti à une datation différente (entre 670 et 880 après Jésus-Christ), illustrant les aléas du carbone 14.

Depuis une quinzaine d’années, la tunique d’Argenteuil suscite de nouvelles recherches, comme en témoignent les colloques organisés en 2005 et en 2011 par le Comité oecuménique et scientifique de la Sainte Tunique d’Argenteuil (Costa). La relique est par ailleurs étudiée par des experts de deux autres grandes reliques du Christ, le linceul de Turin et le suaire d’Oviedo, en Espagne, linge qui, selon les coutumes juives antiques, aurait été attaché autour du visage de Jésus après sa mort, absorbant le sang qui coulait (2). « Les trois reliques, Turin, Oviedo et Argenteuil, révèlent de frappants points de ressemblance que l’on peut difficilement attribuer au hasard », observe Jean-Christian Petitfils dans sa biographie de Jésus (3). Sur 18 pollens de plantes anciennes originaires de Méditerranée orientale repérés sur la tunique, six se retrouvent sur le linceul de Turin et sept sur le suaire d’Oviedo. Sur le linceul et la tunique, les taches de sang s’avèrent de même dimension et de même forme. Le sang présent sur la tunique d’Argenteuil, enfin, est du groupe AB, groupe rare, ce qui est aussi le cas du linceul de Turin et du suaire d’Oviedo, la probabilité de sa présence sur les trois linges étant d’une chance sur 8 000. « Aucun faussaire, conclut Petitfils, n’aurait pu arranger si parfaitement les trois objets. Les faisceaux de présomption en faveur de l’authenticité atteignent des seuils jamais connus dans le domaine historique et archéologique. »
Il n’existe nulle preuve que la Sainte Tunique soit le vêtement de la passion du Christ, et l’Eglise elle-même, comme pour les autres reliques, ne cherche pas à imposer cette croyance. En soulignant quand même la force de la tradition, notamment orale, dans les premiers siècles du christianisme. Recteur et curé de la basilique Saint-Denys d’Argenteuil, le père Guy-Emmanuel Cariot rappelle ainsi que l’Evangile selon saint Jean, dans son chapitre 19, mentionne les trois reliques. « Ma thèse, affirme-t-il, est que saint Jean, à la fin du premier siècle, parle à des communautés qui connaissent l’existence de ces trois reliques et les vénèrent déjà. ». Le prêtre tient toutefois à rappeler le sens véritable des reliques pour l’Eglise catholique : « On est trop centré sur la question de l’authenticité. Les reliques sont des signes qui invitent à entrer dans une démarche de foi à la suite du Christ. Il faut voir ce qu’il y a derrière la vénération : des conversions, des guérisons, de multiples grâces. »

En temps habituel, la Sainte Tunique d’Argenteuil est enroulée dans un reliquaire qui n’en découvre qu’un morceau à travers une vitre ronde. C’est seulement à l’occasion des ostensions solennelles, qui se déroulent en principe tous les cinquante ans, que la tunique est déployée dans son reliquaire vertical. Les dernières ostensions ayant eu lieu en 1934 et en 1984, la prochaine aurait dû se tenir en 2034. Mais à l’occasion du cinquantenaire du diocèse de Pontoise (détaché du diocèse de Versailles en 1966), des 150 ans de la reconstruction de la basilique Saint-Denys d’Argenteuil et de l’Année de la miséricorde décrétée par le pape François, Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise et gardien de la Sainte Tunique, a décidé d’une ostension en 2016.
Au XIXe siècle, la tunique avait été cousue sur une doublure de soie blanche afin de la protéger. Celle-ci s’étant dégradée, il a été décidé, en vue de l’ostension de cette année, de refaire ce support. Mais l’opération supposait, en dehors de l’Eglise, l’accord de la ville d’Argenteuil, propriétaire de la tunique, et celui de la direction départementale des affaires culturelles du Val-d’Oise, l’objet étant classé. Il a été fait appel à Claire Beugnot, une restauratrice de textiles, diplômée de l’Institut national du patrimoine et de l’Ecole du Louvre, pour effectuer cette tâche. Afin d’atténuer le contraste entre la soie du support et la laine de la tunique, qui donnait l’impression d’un vêtement plein de trous, cette spécialiste des tissus antiques a proposé de coudre la relique sur un support d’une couleur voisine. Soixante-douze jours de travail ont été nécessaires pour mener l’opération à bien. En bonne professionnelle, Claire Beugnot a traité la tunique comme un objet historique rendu particulièrement précieux par son ancienneté et sa singularité. Croyante, elle avoue toutefois avoir dû chaque matin chasser l’émotion qui s’emparait d’elle en approchant de l’objet.
Le curé d’Argenteuil attend 150 000 visiteurs en deux semaines dans sa basilique ouverte à tous. « Une relique, étymologiquement, c’est ce qui reste, sourit le père Cariot. Les reliques sont le signe de l’Incarnation. Elles nous disent que la sainteté est possible. Alors que dire d’une relique du Christ ? »

Jean Sévillia

Ostension de la Sainte Tunique du Christ dans la basilique d’Argenteuil (95100) du vendredi 25 mars au dimanche 10 avril, tous les jours de 10 h à 22 h. (www.saintetunique.com).
Vénération des reliques de la Passion du Christ à Notre-Dame de Paris le vendredi 25 mars de 10 h à 17 h, et chaque premier vendredi du mois à 15 h.

(1) André Marion, Jésus et la science. La vérité sur les reliques du Christ, Presses de la Renaissance, 2000.

(2) André Marion et Gérard Lucotte, Le Linceul de Turin et la Tunique d’Argenteuil, Presses de la Renaissance, « Le point sur l’enquête », 2006.
Jean-Maurice Clercq, Les Grandes Reliques du Christ. Synthèse et concordances des dernières études scientifiques, François-Xavier de Guibert, 2007.
François Le Quéré, La Sainte Tunique d’Argenteuil, Artège, 2016.

(3) Jean-Christian Petitfils, Jésus, Fayard, 2011.

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