Pour en finir avec la légende Castro

Après un demi-siècle de pouvoir sans partage, le dictateur cubain s’efface. En laissant un pays ruiné, où la démocratie n’existe que sur le papier. Pourquoi le régime de Fidel Castro, ce goulag tropical, a-t-il si longtemps séduit les intellectuels occidentaux ?

Depuis son hospitalisation, à l’été 2006, les apparitions de Fidel Castro se faisaient rares. On ne le voyait plus dans son sempiternel treillis vert olive, mais en survêtement Adidas, tenue peu digne d’un Lider Maximo. Officiellement, il « ne fait pas ses adieux » : il s’engage à rester un « soldat des idées ». Malade et diminué, il continuera donc à délivrer ses oracles bouffons à ses compatriotes, mais sous la forme de textes modestement intitulés Réflexions du camarade Fidel.

A La Havane, le régime ne changera pas de nature : il a été pris en main, il y a un an et demi, par Raul Castro, le propre frère du guide de la révolution cubaine. Il reste que c’est bien une page d’histoire qui se tourne, avec le retrait de celui qui avait cumulé les fonctions de président du Conseil d’Etat, de président du Conseil des ministres, de premier secrétaire du Parti communiste et de commandant en chef des forces armées. Au terme d’un demi-siècle de dictature socialiste, la grande île des Caraïbes, royaume de la répression, de la misère et de la corruption, est ruinée, et la liberté, un lointain souvenir. Dieu sait pourtant si, en Occident, les milieux avancés auront longtemps témoigné, envers le castrisme, d’une inépuisable indulgence.

Le 26 juillet 1953, à Santiago de Cuba, un groupe de rebelles mené par Fidel et Raul Castro attaque la caserne de la Moncada. L’opération est un échec. Emprisonnés, amnistiés un an plus tard, les frères Castro s’exilent à Mexico, où ils ont le loisir de parfaire leur connaissance du marxisme-léninisme. Le 5 décembre 1956, à la tête d’une troupe armée, ils débarquent à Cuba. Nouvel échec. Douze survivants de l’expédition prennent le maquis dans la Sierra Maestra, où ils reconstitueront leurs effectifs. Parmi ces précurseurs figurent les frères Castro et un médecin argentin : Ernesto Guevara. Fidel et le Che, ce couple mythique fera rêver des milliers de jeunes des sixties qui, nouveau messianisme, attendront le salut du genre humain de la révolution dans le tiers-monde. Mais entre la légende et la réalité, il y a un gouffre.

Le 1er janvier 1959, les guérilleros entrent dans La Havane. Le chef de l’Etat, Fulgencio Batista, prend la fuite. Au début des années 50, Fidel Castro avait été recruté par le KGB (1). Dès les premiers jours de la prise du pouvoir, plusieurs centaines d’agents formés à Moscou débarquent à Cuba afin de mettre sur pied une police politique. Au mois de février, l’Assemblée législative est supprimée. Le 1er mai 1959, alors que l’agriculture, principale ressource du pays, est placée sous l’autorité de l’armée, Castro proclame Cuba « première république socialiste d’Amérique ».

Le Parti communiste devenu la seule formation autorisée, l’opposition est muselée. Compagnon de Fidel Castro, chef de la colonne 9 qui a participé à la prise de La Havane, Huber Matos est condamné à vingt ans de bagne. Son crime ? Etre démocrate (2). « Les exécutions sont non seulement une nécessité pour le peuple de Cuba, mais également un devoir imposé par ce peuple. » C’est Guevara qui écrit ces lignes le 5 février 1959. C’est encore lui qui se vantera, le 11 décembre 1964, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York : « Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra. » Deux cents condamnations arbitraires sont directement imputables au Che. A la prison de la Cabaña, il aime regarder les exécutions couché sur le dos. En fumant un cigare (3). Le Livre noir du communisme, donnant en 1997 un descriptif du système carcéral cubain, ce goulag tropical, estimera à 100 000 le nombre de citoyens du pays ayant connu les prisons ou les camps de rééducation depuis 1959, et de 15 000 à 17 000 le nombre de personnes fusillées.

Non seulement le régime de Fidel Castro est totalitaire, mais il s’avère d’une incompétence ubuesque. Guevara – qui a poursuivi des études de médecine, mais dont la seule expérience est celle d’un révolutionnaire professionnel – est nommé président de la Banque centrale, puis ministre de l’Industrie et du Travail. Voulant refondre la totalité des structures économiques du pays, il nationalise les propriétés agraires et les entreprises industrielles. Cuba était un des Etats les plus développés d’Amérique latine. En deux ans, soumis de plus à l’embargo américain, il voit son déficit commercial multiplié par 26. Fin octobre 1964, l’économie de pénurie est décrétée : elle n’a jamais cessé depuis.

A Paris, les Barbudos suscitent des vocations de thuriféraires. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir se rendent à Cuba. Le reportage du philosophe – publié dans France Soir, du 29 juin au 15 juillet 1960, sous le titre « Ouragan sur le sucre » – compose, souligne l’historien François Hourmant, « un panégyrique constant, teinté d’hagiographie » : Sartre vante notamment « la douceur et l’humour » de Guevara (4). De son côté, Beauvoir exalte le « miracle » Castro (France Observateur, 7 avril 1960).

A leur suite, journalistes et écrivains, généreusement accueillis à grand renfort de cigares, de rhum et de filles peu farouches, se bousculent à La Havane. Henri Alleg, naguère prompt à dénoncer la torture en Algérie, ne fait pas preuve de la même vigilance à Cuba, où il n’a vu que «l’exploitation de l’homme par l’homme liquidée, la terre distribuée, le chômage presque annihilé, les bidonvilles détruits et les nouvelles maisons construites, l’analphabétisme vaincu, tout cela en trois ans» (5). Régis Debray, Roland Castro ou Bernard Kouchner, alors militants communistes, mêlent l’utile à l’agréable : le socialisme, le soleil et la plage. En 1963, Kouchner interviewe Castro pour Clarté. Dans le texte imprimé à Paris, le journal des étudiants du PCF n’osera pas reproduire cet échange :

« Pourquoi n’organises-tu pas d’élections libres ?

– Ah, les élections ; ça a trop servi, c’est une saloperie ! » (6)

En janvier 1968, à La Havane, Alain Robbe-Grillet participe à un congrès international d’intellectuels, dont la résolution finale lance cette profession de foi : « C’est à Cuba et par le mouvement de la révolution cubaine que l’exigence communiste a retrouvé, en même temps qu’un centre vivant, sa puissance d’avenir. » Deux ans plus tard, aux belles heures du progressisme chrétien, La Croix dépeint Fidel Castro en saint de vitrail : « Depuis qu’il est à la tête du pays, il n’a pas perdu cette passion d’écouter : on peut l’interrompre, le critiquer. » (29 juillet 1970).

A la même époque, les Cubains surnommaient le Département de la sécurité d’Etat (DES) « la Gestapo rouge ». En 1980, la police politique construira un centre de détention doté de cellules à très hautes ou très basses températures. Les détenus, nus, coupés du monde extérieur, alternativement soumis au chaud ou au froid, y étaient réveillés toutes les vingt ou trente minutes. Dans une autre prison, on les laissait mourir de faim. Ailleurs encore, les internés politiques avaient trouvé la parade pour n’être pas violés par les droit- commun : s’enduire de leurs excréments.

En Occident, aujourd’hui, les posters de Castro et de Che Guevara sont en vente n’importe où. A Paris, il est des repentances qui se font attendre.

Jean Sévillia

(1) Serge Raffy, Castro l’infidèle, Fayard, 2003. (2) Huber Matos, Et la nuit est tombée. De la révolution victorieuse aux bagnes cubains, Les Belles Lettres, 2006. (3) Jacobo Machover, La Face cachée du Che, Buchest-Chastel, 2007. (4) François Hourmant, Au pays de l’avenir radieux. Voyages des intellectuels français en URSS, à Cuba et en Chine populaire, Aubier, 2000. (5) Henri Alleg, Victorieuse Cuba, Editions de Minuit, 1963. (6) Cité par Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération, t. 1 : Les Années de rêve, Seuil, 1987.

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