Le temps des camps

Le 12 novembre 1949, Le Figaro littéraire publie un article portant ce titre : « Au secours des déportés dans les camps soviétiques. Un appel aux anciens déportés des camps nazis ». Constatant que « des témoignages accablants sont produits en nombre toujours plus considérable sur les camps de déportation soviétiques », le texte réclame une commission d’enquête sur le sujet, commission formée « d’anciens déportés politiques éprouvés », rescapés des camps nazis. L’article est accompagné d’une carte des régions de déportation en URSS – le mot « goulag » y figure. L’auteur, David Rousset, est un homme de gauche. Résistant, alors trotskiste, il a été arrêté en 1943, et déporté. Revenu vivant, il a publié L’Univers concentrationnaire, un témoignage sur les camps nazis (prix Renaudot 1946) et en 1947, Les Jours de notre mort, un roman fondé sur ses souvenirs de l’enfer. Le 15 novembre 1949, trois jours après l’appel du Figaro littéraire, David Rousset présente son initiative lors d’une conférence de presse qu’il tient avec Rémy Roure, un journaliste du Monde, comme lui ancien détenu de Buchenwald. Dès le 16 novembre, sous la plume de Pierre Daix, L’Humanité contre-attaque dans un article accusant Rousset et ses partenaires de préparer les esprits à un conflit contre l’Union soviétique ! Le lendemain, l’hebdomadaire communiste Les Lettres françaises défend le principe des « camps de rééducation » soviétiques, instruments de justice sociale, l’expression devenant « centres de rééducation » dans une brochure diffusée à 200 000 exemplaires par le PCF : « Pourquoi David Rousset a-t-il inventé les camps soviétiques ? » Il s’ensuivra un procès que les communistes perdront, comme ils avaient perdu leur procès contre Victor Kravchenko, ce dissident soviétique qu’ils accusaient de mentir lorsqu’il évoquait les camps en URSS. Le volume qui paraît aujourd’hui réunit les écrits de l’époque de David Rousset, mort en 1997, et quelques-uns de ses textes des années 1970. Ils montrent le long chemin qui aura été nécessaire, en France, pour faire admettre l’existence des camps soviétiques, et surtout leur équivalence avec les camps nazis, comparaison sacrilège.

Jean Sévillia

La Fraternité de nos ruines. Ecrits sur la violence concentrationnaire, 1945-1970, de David Rousset, Fayard, 394 p., 22 €.

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