La bataille des Glières n’a pas eu lieu

Soixante-dix ans après la bataille des Glières, un ouvrage salue le fait d’armes mais redimensionne sa portée à un événement local, exploité par Radio-Londres pour entretenir la flamme de la Résistance.

     Le 6 avril dernier, en Haute-Savoie, se sont déroulées les cérémonies du 70e anniversaire des combats du plateau des Glières. Le consensus formé autour de ce rendez-vous a été bousculé, cette année, par la parution d’un livre de Claude Barbier, le Maquis de Glières, auquel son auteur a donné un sous-titre provocant : Mythe et réalité.

     Le 6 mars, le conseil général de la Haute-Savoie et l’Association des Glières ont organisé une conférence de presse, aux Invalides, dans le but de présenter la réédition d’un ouvrage publié en 1946 par les rescapés du maquis, réédition augmentée d’une préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, ancien de la France libre et auteur de plusieurs livres sur la Résistance, et d’une postface de Jean-Marie Guillon, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille et co-auteur du Dictionnaire historique de la Résistance (Bouquins, 2006). Face aux journalistes, les intervenants prenaient pour cible l’ouvrage de Claude Barbier, lancé avec retentissement par la presse (« Maquis des Glières, la légende réécrite », « La bataille de Glières n’a pas eu lieu », titraient des hebdomadaires). Si Jean-Marie Guillon incriminait Olivier Wieviorka, l’historien sous la direction de qui le livre de Claude Barbier a été édité et par ailleurs auteur d’une peu conformiste Histoire de la Résistance (Perrin, 2013 ; voir le Figaro Histoire n° 6), Jean-Louis Crémieux-Brilhac accusait la « vision réductionniste » de Barbier. Quant au général Jean-René Bachelet, président de l’Association des Glières, son jugement était radical : selon lui, user du mot « légende » à propos des Glières, c’est « reprendre le vocabulaire du sinistre ministre de la Propagande de Vichy Philippe Henriot »….  Soixante-dix ans après les faits, qui aurait pu prévoir une telle polémique ?

     Situé à 1500 md’altitude dans le massif des Aravis, à une vingtaine de kilomètres d’Annecy, Glières est un plateau d’environ un kilomètre sur trois. Fin janvier 1944 s’y forme un maquis réunissant des hommes de l’Armée secrète, résistants locaux et militaires du 27e bataillon de chasseurs alpins (BCA), dissout en 1942, bientôt rejoints par des réfractaires du Service du travail obligatoire (STO), instauré en 1943, par des Francs-Tireurs et Partisans (FTP, organisation communiste) et par un groupe de républicains espagnols. 150 hommes fin janvier, 450 fin mars : ce rassemblement a été réalisé avec l’accord des services français gaullistes, des Britanniques et de l’OSS (les services secrets américains).

     Selon la version courante, les événements s’enchaînent de la façon suivante. Dès février 1944, des armes et du matériel sont parachutés par les Alliés, tandis que les GMR (Groupes mobiles de réserve, les forces de l’ordre de Vichy) et la Milice encerclent les Glières. Le 9 mars, à l’occasion d’un coup de main sur le PC des GMR, dans le village d’Entremont, le chef des maquisards, le lieutenant Théodose Morel, dit « Tom », un ancien instructeur de Saint-Cyr passé dans la clandestinité après l’invasion de la zone libre, est abattu par traitrise par un officier français des forces de répression. Le capitaine Maurice Anjot prend alors le commandement des Glières. Le 26 mars, après plusieurs bombardements du plateau, la 157e division de réserve de la Wehrmacht attaque, aidée de la Milice. Au terme d’un dur combat, Anjot est contraint d’ordonner le décrochage et la dispersion à ses hommes. Selon les chiffres alors proclamés à Radio-Londres, 400 Allemands auraient été tués et 300 autres blessés dans l’affrontement, les maquisards relevant 100 morts et 150 blessés. Au mois de mai suivant, le maquis se reconstituera et participera, en août, à la libération  de la Haute-Savoie par les seules forces de la Résistance.

     C’est cette version officielle que Claude Barbier corrige, dans un  ouvrage dont le contenu ne contient rien de polémique dans le ton. Aujourd’hui âgé de 49 ans, ce Savoyard a effectué son service militaire, en 1987-1988, au 27e BCA d’Annecy. C’est le chef du corps du régiment, le colonel Bachelet – celui-là même qui, général 2 S, préside actuellement l’Association des Glières – qui l’a autorisé à commencer des recherches sur l’histoire du maquis de Glières (revendiquant un usage local, Barbier traite le mot comme un singulier). Ses études déboucheront, en 2001, sur une thèse d’histoire, soutenue à la Sorbonne, sur la Résistance en Haute-Savoie et le maquis de Glières, puis sur cet ouvrage, paru chez Perrin, mais coédité avec la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la Défense, et pour lequel il a fouillé les archives françaises, britanniques, américaines, suisses et allemandes.

     Barbier expose comment les forces de Vichy, informées début février 1944 du regroupement de Glières, tentent dans un premier temps, tout en assiégeant les lieux, de régler la question par la négociation. Pendant cinq semaines, le colonel Georges Lelong, intendant de police et responsable des opérations de maintien de l’ordre en Haute-Savoie, se contente d’une surveillance légère et entretient des contacts avec les responsables de l’AS, ce qui permet aux maquisards des Glières de se déplacer et de se ravitailler. « Si incontestablement les deux camps s’opposaient, écrit Barbier, tous recherchèrent – la Milice exceptée – un moyen de s’éviter ». Les pourparlers, toutefois, achoppent sur le fait que les chefs du maquis refusent les conditions qui leur sont offertes : la liberté en échange de l’évacuation du plateau, de l’abandon de l’armement et de la livraison des FTP et des Espagnols. Le 9 mars, « Tom » Morel trouve la mort au cours d’un coup de main au terme duquel les maquisards font des prisonniers parmi les forces de l’ordre. Dès lors, l’intendant de police Lelong est mis à l’écart par Joseph Darnand, secrétaire général au Maintien de l’ordre de Vichy, et la Milice, le SIPO-SD (la police de sûreté nazie) et la Wehrmacht entrent en scène.

     Le 12 mars a lieu le premier bombardement allemand, opération qui se répétera plusieurs fois, tandis que l’assaut se prépare dans la vallée. Les chefs du maquis décident de maintenir leurs positions après avoir reçu un nouveau parachutage d’armes, puis l’assurance (fallacieuse) d’un renfort parachuté. Mais lorsque la Wehrmacht commence l’ascension du plateau, le 27 mars, les maquisards ont reçu la veille, à 22 heures, l’ordre de repli qui leur a été adressé par le capitaine Anjot, persuadé que la disproportion des forces ne lui laisse pas d’autre issue. Certains combattants échapperont au dispositif ennemi, mais il s’ensuivra une impitoyable chasse à l’homme, menée par les Allemands et la Milice.

     A part un accrochage sur un côté du plateau, la fameuse « bataille » du 26 mars n’a donc pas eu lieu. Le nombre de morts que recense Barbier, par conséquent, n’est pas celui de la « légende » : si 115 à 120 maquisards ont perdu la vie, tués pendant la poursuite, morts sous la torture ou en déportation, ils ont été majoritairement victimes de crimes de guerre plus que des combats proprement dits. Quant aux pertes allemandes, le bilan est de 4 morts et 7 blessés, loin de l’hécatombe annoncée par Radio-Londres.

     Claude Barbier ramène ainsi l’histoire du maquis de Glières à un évènement local authentiquement dramatique, mais dont l’ampleur réelle a été limitée. Cette page a été magnifiée par la propagande, sur le moment, en raison de l’enjeu que représentait le fait de montrer aux Alliés la capacité de la France libre à contrôler la Résistance et à mener des opérations contre l’occupant, mais également en raison de sa dimension morale. Cette dimension, l’historien ne la nie nullement. « Ces maquisards, écrit Barbier, sont allés jusqu’au bout de ce que « vivre libre ou mourir » pouvait signifier. (…) Par leur sacrifice, ces combattants et leurs soutiens offraient à la France un magnifique symbole ».

Jean Sévillia

Le maquis de Glières. Mythe et réalité, de Claude Barbier, Perrin / Ministère de la Défense, 466 pages, 24,50 €.

Vivre libre ou mourir. Plateau des Glières, Haute-Savoie, 1944, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, postface de Jean-Marie Guillon, Association des Glières pour la mémoire de la Résistance, La Fontaine de Siloé, 306 pages, 30 €.

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