Dans les pas de Haydn au Burgenland

Un ensoleillement exceptionnel, des coteaux recouverts de vignes, un des lacs de steppe les plus mystérieux d’Europe : le Burgenland, qui fête le bicentenaire de la mort de Joseph Haydn, est une Autriche différente.

De Vienne, une heure de voiture suffit pour gagner le pays. Le Burgenland borde le flanc sud-est de l’Autriche : il y a vingt-cinq ans encore, le monde libre finissait ici. Aujourd’hui, passer la frontière n’est qu’une formalité, ce qui vaut dans les deux sens : chaque jour, des milliers de Hongrois viennent travailler dans la région, si bien que le visiteur ne sait pas toujours s’il est en Autriche ou en Hongrie.

Juste retour de l’Histoire. La province, autrichienne au XVe siècle, est devenue hongroise au XVIIe siècle et redevenue autrichienne en 1919. A l’exception de Sopron, dont les habitants, voulant rester magyars, ont obtenu gain de cause par référendum, en 1921. C’est pour cette raison que les limites du Burgenland sont si curieusement tracées : un coin du territoire hongrois s’enfonçant dans le territoire autrichien, la province se réduit, en son milieu, à une bande de terre de 4 kilomètres de large. Autre héritage du passé : les minorités ethniques du pays, notamment les 10 % de Croates, descendants de paysans chassés de chez eux, au XVIe siècle, par l’envahisseur ottoman. Cette diversité culturelle confère son cachet si particulier à la contrée, qui est un composé de l’ancienne Autriche-Hongrie.

C’est bien l’Autriche, pourtant, mais pas l’Autriche des alpages ou des grandes abbayes du Danube : le Burgenland regarde vers l’est, vers la plaine pannonienne qui commence sur les rives du lac de Neusiedl.

Ce lac de steppe, dont la profondeur n’excède jamais 1 à 2 mètres, mesure théoriquement 36 kilomètres du nord au sud, mais sa superficie réelle – évaluée à 350 km2 – varie selon la pluviosité. Géologues et hydrographes n’ont pas fini de scruter les mystères de cette étendue aquatique à qui il est arrivé, au XIXe siècle, de disparaître complètement. On avait même commencé à partager le sol pour l’exploiter, quand l’eau est revenue…

Couverts d’une ceinture de roseaux, les bords du Neusiedlersee sont le royaume de 270 espèces d’oiseaux aquatiques. S’il n’existe (heureusement) pas de route pour faire le tour du lac en voiture, une piste cyclable permet d’aller à la rencontre des foulques, oies sauvages, poules d’eau, hérons pourprés et autres outardes barbues qui peuplent les lieux. L’été, baigneurs et véliplanchistes prennent aussi possession du lac, dont la surface glacée, en hiver, se transforme au contraire en patinoire géante.

Un microclimat, dit-on, garantit au Burgenland 300 jours d’ensoleillement annuels. Des conditions attestées par la culture de la vigne, qui est une tradition très ancienne. En 1681, l’empereur manquant d’argent, les vignerons de Rust lui avancèrent 60 000 guldens et 500 pièces de leur meilleur cru, ce qui valut à la localité le statut de ville libre. Eglises baroques, maisons basses, caves de dégustation : pour profiter pleinement du charme de ce village classé, le mieux est de dormir sur place. Le seul risque, la nuit, est d’être dérangé par le claquement de bec des cigognes qui nichent sur les toits. A Mörbisch, autre village vigneron des bords du lac, une scène lacustre, à la belle saison, propose des opérettes viennoises.

Eisenstadt, le chef-lieu de la province, est une petite ville sereine. La cité est dominée par le château des Esterházy, lignée hongroise qui s’était mise au service des Habsbourg au XVIe siècle, et qui, à l’apogée de sa splendeur, possédait une centaine de châteaux ! En 2009, cette famille serait toujours propriétaire de 60 % du sol du Burgenland.

Eisenstadt est surtout célèbre pour avoir abrité, pendant trente ans, le travail du plus illustre de ses concitoyens : Joseph Haydn. On célèbre cette année le bicentenaire de la mort du compositeur, dont le portrait s’affiche partout.

Né en Basse-Autriche en 1732, Haydn témoi gne très tôt de dons exceptionnels. En 1761, il entre comme maître de chapelle au service du prince Nicolas Ier Esterházy, dit le Magnifique. Il officie non seulement à Eisenstadt, mais également au château d’Esterháza, à Fertöd (aujourd’hui en Hongrie), le petit Versailles magyar. En 1790, à la mort de Nicolas Ier, Haydn s’installe à Vienne, où il achète une maison, aujourd’hui transformée en musée. En 1791, puis en 1794-1795, il séjourne à Londres, où son génie est salué. Mais il préfère rentrer à Vienne, où il reprend son poste auprès de Nicolas II Esterházy. Haydn meurt à 77 ans, le 31 mai 1809, alors que Napoléon assiège la ville : pour que son agonie ne soit pas troublée, l’empereur a fait poster une garde d’honneur autour de chez lui.

A Eisenstadt, cinq expositions lui sont consacrées, qui fermeront leurs portes au mois de novembre prochain. Joseph Haydn a laissé plus de 1 200 œuvres. Mais il fut aussi un Autrichien typique, plein d’humour, amateur de bonne chère et de jolies femmes. Sa vie ne fut pas toujours un long fleuve tranquille, pas plus que sa mort. Sa dépouille, d’abord inhumée à Vienne, fut transférée à Eisenstadt, en 1820, dans l’église du Calvaire, où se dresse son mausolée. Mais on s’aperçut avec effroi que la tête avait disparu. Identifiée en 1895 – elle avait été dérobée par un admirateur, adepte de la phrénologie, qui voulait établir le lien entre la forme du crâne du musicien et ses facultés intellectuelles -, elle n’a retrouvé sa place qu’en 1954.

Le Burgenland, littéralement, c’est « le pays des châteaux ». Une réminiscence de l’époque où la province était aux avant-postes, face au danger turc. Il ne faut pas quitter le pays sans avoir visité Forchtenstein. Dominant la région, cette forteresse, propriété des Esterházy depuis 1622, n’a jamais été vidée de ses collections accumulées au fil des siècles : même les Soviétiques, qui y ont caserné après 1945, n’ont pas découvert l’entrée du trésor. Drapeaux, carrosses, tableaux de batailles, portraits des princes, meubles précieux (admirer le mobilier d’argent), cabinet de curiosités : tout, ici, est magnifique.

Une heure après avoir quitté le château, on peut être à Vienne, en ayant l’impression de revenir de très loin. Tout compte fait, le Burgenland reste le bout du monde. Mais facilement accessible.

Jean Sévillia

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