Ces chrétiens face à l’islam

Alors que la cohabitation entre chrétiens et musulmans, en Afrique, au Moyen-Orient et jusque dans les Balkans, se fait de plus en plus difficile, des hommes ou des femmes d’Eglise, la foi chevillée au corps, continuent leur mission. Par Jean-Marie Guénois et Jean Sévillia.

 

     Enlevé dans sa paroisse du nord du Cameroun, le 13 novembre, par les djihadistes du groupe Boko Haram, le père Georges Vandenbeusch, un prêtre français, aujourd’hui détenu dans le nord du Nigeria, se trouve pris en otage dans un combat qui n’est pas le sien. Tout comme les douze religieuses grecques orthodoxes capturées par les rebelles syriens, le 2 décembre, dans leur couvent de Maaloula. Noël, fête de la joie, peut avoir pour certains un goût de larmes : de par le monde, 200 millions de fidèles du Christ ne sont pas entièrement libres de manifester leur foi.
     Ce rejet, parfois violent, voire mortel, revêt souvent la forme banalisée d’un ostracisme ordinaire. Mais ce visage insidieux de l’intolérance tue, lui aussi, à petit feu, comme le montre la saignée dont sont victimes les chrétiens de Terre Sainte. Jean-Paul II et Benoît XVI ont souvent exprimé leur préoccupation à ce sujet. A son tour, le pape François ne cesse d’alerter sur la menace qui plane sur le berceau historique du christianisme. Lundi dernier, sur son compte Twitter, le souverain pontife lançait le message suivant : « Ne nous résignons pas à penser à un Moyen-Orient sans les chrétiens. Prions chaque jour pour la paix ! »

« L’oecuménisme du sang » unit tous les chrétiens

Dans ce numéro du Figaro Magazine, nous présentons un état des lieux de la persécution des chrétiens dans le monde au moyen d’une carte qui est éloquente, même si elle est nécessairement simplificatrice (dans un pays-continent comme l’Inde, par exemple, les chrétiens sont en sécurité dans certaines régions, quand ils sont menacés dans d’autres). Ainsi que nous l’avions fait en 2006, en 2008 et en 2010, nous avons réalisé cette carte en croisant les indications fournies par deux associations dont les informations sont strictement vérifiées.
     D’abord l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), une association catholique qui, fondée en 1947, avait pour vocation initiale de venir en aide aux chrétiens de derrière le rideau de fer. Dépendant du Saint-Siège, l’AED étend son action à 130 pays. Tous les deux ans, elle édite un Rapport sur la liberté religieuse dans le monde dont la dernière édition date de 2012, mais dont les données sont réactualisées régulièrement (1). La seconde base que nous avons utilisée pour établir notre atlas est l’Index mondial de persécution réalisé par Portes ouvertes, une ONG protestante évangélique, dont l’indice est calculé d’après différents paramètres, notamment le statut juridique et politique des chrétiens dans les pays concernés, et la réalité de leurs conditions observée (2).
     En opérant la synthèse des informations fournies par l’Aide à l’Eglise en détresse et par Portes ouvertes, il ressort que 75 % des cas de persécution religieuse dans le monde concernent les chrétiens, dont la situation se détériore gravement en de nombreux endroits. Le Mali, le Cameroun, la République centrafricaine, l’Ethiopie ou la Syrie, non signalés sur notre carte de 2010, figurent ainsi sur notre atlas 2013, tandis que certains pays sont montés d’un cran dans le danger pour les chrétiens, passant en zone rouge, notamment le Nigeria, la Libye, l’Egypte, le Soudan, l’Irak, le Pakistan ou l’Inde. Les victimes, en l’occurrence, appartiennent aux différentes confessions chrétiennes. C’est ce que le pape François, dans une interview recueillie le 15 décembre par le quotidien italien La Stampa, appelait « l’oecuménisme du sang » : « Dans certains pays, on tue les chrétiens parce qu’ils portent une croix ou possèdent une Bible, et on ne leur demande pas avant de les tuer s’ils sont anglicans, luthériens, catholiques ou orthodoxes. »

Les chrétiens d’Asie, toujours victimes du communisme

En Chine, en Corée du Nord, au Vietnam, c’est toujours au nom du matérialisme athée, qui reste la doctrine officielle du parti communiste au pouvoir, que la religion chrétienne est poursuivie. Mais la source principale de l’antichristianisme, du point de vue du nombre de pays touchés et du taux de progression du phénomène, provient, comme le prouve notre carte, de l’Islam politique ou du fondamentalisme musulman. Attention, pour autant, à ne pas verser dans la caricature de l’opposition entre l’Occident chrétien – alors que l’Occident, précisément, n’est souvent plus chrétien – et l’Islam, dès lors que la religion musulmane s’étend, du Maghreb à l’Indonésie, sur des Etats et des aires culturelles différents, dont les intérêts ne convergent pas forcément. Mais un trait commun caractérise les Etats à majorité islamique : à de rares exceptions près, dans ces pays, ce sont uniquement ceux qui professent la religion dominante qui disposent des droits complets de la citoyenneté. Les habitants qui appartiennent aux confessions minoritaires sont au mieux tolérés, au pire regardés comme un danger pour la cohésion sociale, et comme tels, deviennent vite suspects.
     Le 27 novembre dernier, à Paris, l’AED organisait un colloque sur le thème : « Nouvelles guerres froides, incidences sur les chrétiens ». Analysant trois axes de tension – la relation Russie-Etats-Unis, la relation Chine-Etats-Unis, la relation Arabie saoudite-Iran -, les intervenants soulignaient que la fin du monde unipolaire dominé par les Etats-Unis, fin marquée par le grand retour de la Russie sur la scène internationale, modifiait la donne pour les chrétiens, comme on l’a vu en Syrie : dans ce pays, le conflit civil qui oppose les sunnites aux chiites reflète l’antagonisme entre l’Arabie saoudite et l’Iran, un affrontement dans lequel la Russie joue son jeu.

Le pape doit veiller à ne pas déclencher de représailles

Au Moyen-Orient, où les religions ont toujours été mêlées, beaucoup de chrétiens regrettent de voir se dégrader l’équilibre de la coexistence. A cet égard, l’Eglise catholique sait qu’elle dispose d’une autorité que ni les protestants ni les orthodoxes ne détiennent – bien que la crise syrienne ait vu le patriarche de Moscou prendre position -, parce qu’elle s’exprime d’une seule voix qui se situe à Rome. Mais si le pape tonne pour défendre les chrétiens persécutés, l’effet est à double tranchant. En dénonçant, le souverain pontife met en lumière, mais il expose tout autant à des représailles, qui peuvent localement se révéler encore plus violentes.
     Benoît XVI a payé cher ce prix de la vérité avec l’islam. De ce point de vue, son pontificat est une triste parabole des limites de l’exercice, mais l’Eglise catholique sait la force de la persévérance. François, son successeur, en a tiré la leçon, mais il ne peut pas non plus se taire. En neuf mois de pontificat, son discours s’est d’ailleurs charpenté. D’une main franchement tendue, au début, vers l’islam, le pape actuel est passé à des mots plus exigeants : du monde musulman, il attend – dans la ligne de Benoît XVI, qui avait organisé un synode pour le Moyen-Orient, à cette fin, en 2010 – la « réciprocité » pour la liberté religieuse. Aux yeux du Saint-Siège, les chrétiens établis dans des pays à majorité musulmane doivent ainsi bénéficier de la liberté dont profitent les musulmans installés en Occident…

Silence sur les musulmans qui se font baptiser

La toute récente exhortation apostolique Evangelii Gaudium (la Joie de l’Evangile), publiée le 26 novembre dernier par François, contient des pages où le pape explique sa vision des relations « avec les croyants de l’islam ». Le pape rappelle aux chrétiens, tout d’abord, que les musulmans « professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux ». Ensuite que « les écrits sacrés de l’islam gardent une partie des enseignements chrétiens ». Enfin qu’il est « admirable » de voir que les musulmans « sont capables de consacrer du temps chaque jour à la prière, et de participer fidèlement à leurs rites religieux ». Ces prémisses posées, François aborde le problème du dialogue. Pour le « soutenir », il lui paraît « indispensable » que chrétiens et musulmans bénéficient d’une « formation adéquate » pour être « solidement et joyeusement enracinés dans leur propre identité, mais aussi pour être capables de reconnaître les valeurs de l’autre ». Pas de dialogue au rabais, donc. Le pape en vient ensuite au point le plus délicat – et le plus controversé -, celui de la réciprocité. « Nous, chrétiens, écrit-il, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la même manière que nous espérons et nous demandons à être accueillis et respectés dans les pays de tradition islamique. Je prie et implore humblement ces pays pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’islam jouissent dans les pays occidentaux ». Illusion ? Voeu pieux ? Le pape François, originaire d’un continent latino-américain où l’islam est pratiquement absent et qui connaît mal les musulmans, parviendra-t-il à faire entendre ce message ?

     Dans un livre où il met en exergue « vingt raisons d’espérer » (3), Marc Fromager, le directeur de l’AED en France, évoque une autre réalité sur laquelle règne un lourd silence : les conversions de musulmans au christianisme. « Un cheikh s’alarmait récemment, observe-t-il, du fait qu’en Afrique, il y avait six millions de musulmans qui se convertissaient au christianisme chaque année ». Comme quoi, rien n’est jamais écrit d’avance.

Jean-Marie Guénois et Jean Sévillia

1) Aide à l’Eglise en détresse, 29, rue du Louvre, 78750 Mareil-Marly (01.39.17.30.10 ; www.aed-france.org).

2) Portes ouvertes, BP 40139, 67833 Tanneries cedex (03.88.10.29.60 ; www.portesouvertes.fr).

3) Chrétiens en danger. Vingt raisons d’espérer, de Marc Fromager, Editions des Béatitudes, 194 p., 14 €.

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